Alicia, fille d’un espion nazi venant d’être condamné à passer vingt ans en prison, mène une vie dépravée. L’agent Devlin, des services secrets américains, lui propose de travailler pour eux afin de « laver » son nom du déshonneur. Ils partent au Brésil afin de pister et d’arrêter un ancien ami de son père, Sébastian. Entre temps, Alicia et Devlin sont tombés follement amoureux, sans vraiment se l’avouer…
Voici certainement le plus beau film d’Alfred Hitchcock de la décennie 40. Entre espionnage, suspense policier et romance passionnelle, ce chef d’oeuvre compile des ingrédients savamment travaillés: un scénario fascinant de Ben Hecht, une réalisation fantastique du Maitre, le tout dans un noir et blanc lumineux. On ne compte plus les nombreuses séquences restées célèbres (le début de la réception filmée en un long travelling, partant d’une vue d’ensemble pour finir jusque dans la main de l’héroïne, serrant entre ses doigts une clé cruciale pour l’intrigue, la cave à vin où sont entreposées des bouteilles contenant de bien curieux liquides, etc…). L’idée que, pour le bien de son pays, un homme vend la femme qu’il aime à l’ennemi qu’il traque reste une des plus ingénieuses du métrage, d’autant que cette fois, Hitch délaisse l’aspect policier pour se focaliser sur l’histoire d’amour entre les deux protagonistes, proprement « enchainés » l’un à l’autre par une passion brûlante. L’homme agit par patriotisme, la femme par désir d’expier ses pêchés. Et au beau milieu de cette idylle contrariée, l’auteur de Psychose insère des « méchants » plus qu’ambigus: un terreau de nazis cachés en Amérique Latine que la CIA compte bien débusquer. A peine quelques mois après la fin de la guerre et la débâcle allemande, Hitch met déjà le Mal au centre de son récit.
C’est l’excellence à tous les étages, casting compris! En duo vedette, romantique à souhait, Ingrid Bergman et Cary Grant. Elle au jeu puissant et au visage à la fois angélique et pervers, lui à la présence envoutante et au charisme animal. Le tandem a droit au plus long baiser de l’histoire du cinéma dans une scène d’amour qu’Hitchcock reprendra (dans l’esprit) dans son autre futur film d’espionnage, La Mort Aux Trousses. Dans le rôle du mari inquiétant, Claude Rains fait des merveilles, même si ce registre lui a déjà été attribué auparavant. En alliant autant de qualités, Les Enchainés n’a pas volé sa place parmi les plus admirables réussites de Sir Alfred, dont on n’a pas fini de découvrir encore et encore les richesses.
ANNEE DE PRODUCTION 1946.